PATRICK POIVRE D'ARVOR - Monsieur le Président, bonjour, au nom d'Arlette CHABOT et de moi-même···
LE PRESIDENT - Bonsoir.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Merci de nous accueillir au nom de FRANCE 2, de FRANCE 24, de TV5 Europe et de TF1. Il y a eu beaucoup d'annonces ces derniers jours, de nombreux chantiers ouverts, parfois de quoi donner un peu le tournis aux syndicats et aux formations politiques. Mais j'imagine que les Français ont surtout envie d'entendre des choses extrêmement concrètes de leur part et nous allons essayer avec Arlette de relayer leurs questions. Alors tout d'abord sur les régimes spéciaux que vous avez abordés hier, ces régimes spéciaux de retraites, d'abord quel calendrier vous vous donnez et puis est-ce que vous allez tenir compte de la spécificité et de la pénibilité de certains de ces régimes ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, moi j'ai été élu par les Français pour trouver des solutions aux problèmes de la France. On ne m'a pas élu pour commenter les problèmes de la France, on m'a élu pour trouver des solutions à des problèmes qui sont pendants depuis des années. Et parmi ces problèmes il y a la question du financement de nos régimes de retraites. Les Français veulent être assurés que leurs retraites seront financées, qu'ils pourront partir à la retraite. Alors il y a des décisions qui n'ont pas été prises toutes ces années passées mais il faut les prendre tranquillement, simplement, c'est le cas de ce qu'on appelle les régimes spéciaux, les cheminots, les agents de la RATP, les gaziers, les électriciens. Je vais dire deux choses aux Français : d'abord il ne faut pas stigmatiser ces catégories de Français, ils ne sont pas coupables···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a bien une raison quand même pour laquelle il y a des régimes spéciaux···
LE PRESIDENT - D'abord il y a la pénibilité de leur travail, ensuite il y a l'histoire des luttes sociales dans notre pays, ça compte, et
lorsqu'ils ont été embauchés à la RATP, EDF, à GAZ DE FRANCE, à la SNCF, ils ont trouvé un régime, un statut, il ne s'agit donc pas de les accuser de quoi que ce soit, encore moins···
ARLETTE CHABOT - Ce n'est pas des privilégiés comme disent certains···
LE PRESIDENT - Ah pour moi, non, on n'est pas privilégié parce que c'est des petits salaires et ce sont des boulots qui sont difficiles. Et je veux d'ailleurs dire une chose c'est que je n'ai pas oublié l'attitude de ces fonctionnaires lors de la tempête de 1999, on était bien contents de les trouver, les électriciens, lorsque tout s'était effondré, et je n'ai pas oublié le courage des agents de la RATP lorsqu'il y a eu les émeutes de 2005 et qu'il fallait pour aller chercher les gens au domicile pour aller à leur travail conduire les bus dans des quartiers où il y avait des émeutiers. Donc ce sont des femmes et des hommes que je respecte, qui ne doivent pas être accusés parce qu'ils ont hérités d'un système ou d'un statut mais il se trouve qu'il y a un problème majeur dans notre pays, c'est que tous les salariés du privé doivent cotiser 40 années pour avoir leur retraite depuis 1994, monsieur BALLADUR, tous les salariés du public doivent cotiser 40 ans pour avoir leur retraite, c'est la réforme qu'a engagé Jean-Pierre RAFFARIN avec François FILLON, et les seuls sur lesquels il n'y avait pas eu cet effort de fait ce sont les régimes spéciaux.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Qui sont à 37,5 à peu près···
LE PRESIDENT - Qui sont à 37,5, et je propose de les aligner sur le régime général de la Fonction publique. Et chacun doit comprendre qu'il n'y a aucune raison qu'un métallo, qu'un ouvrier du textile ou qu'un salarié du privé cotisent 40 années quand les autres cotisent 37 années et demie.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et en combien de temps l'étalement ?
LE PRESIDENT - Alors on va négocier de ça, donc ça c'est le principe, et je le dis, je ne céderai pas sur ce principe parce que c'est un principe d'équité. On ne peut pas dire à des millions de Français " vous devez cotiser 40 ans " et à quelques millions d'autres " vous devez cotiser 37 années et demie " même si on doit tenir compte de la pénibilité. Alors···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Même s'il y a du monde dans la rue, même s'il y a des grèves ?
LE PRESIDENT - Qu'il y ait des grèves, c'est un droit constitutionnel, on ne peut pas empêcher les gens de faire grève, mais moi je voudrais essayer de faire des choses de la façon la plus juste. Je leur dis donc à ces catégories de Français, premièrement votre statut particulier vous le conserverez. Deuxièmement, le gouvernement est prêt à discuter assez largement du temps qu'il faut pour arriver aux 40 années. Par exemple, pour le régime général de la Fonction publique, il avait été indiqué qu'il fallait cinq ans, on peut en discuter de tout cela. Ce sur quoi on ne peut pas transiger c'est le principe d'égalité, d'équité, tout le monde doit cotiser 40 ans, voilà. Alors je le dis très simplement, très calmement, je le dis en ayant parfaitement conscience de l'effort qu'on leur demande, de la difficulté que cela représente. Monsieur POIVRE d'ARVOR, si c'était facile, les autres gouvernements l'auraient fait ; s'ils ne l'ont pas fait c'était compliqué. Mais moi je···
ARLETTE CHABOT - Ca s'est quand même passé une fois en 95, il y a eu une tentative, ça s'est mal passé. Est-ce que vous pensez que cette fois les esprits sont davantage ouverts, prêts à accepter, que ce soit d'ailleurs l'opinion publique qui semble assez prête selon les enquêtes d'opinion, voire ceux qui bénéficient de ce régime, ils ont évolué ?
LE PRESIDENT - Oui mais moi je ne veux pas monter une partie de l'opinion contre eux parce que ça serait injuste. Je dis aux cheminots, aux agents de la RATP, aux gaziers, aux électriciens et à tous les autres que je fais confiance à leur honnêteté, on leur garantit le respect de leur statut particulier mais ils doivent comprendre qu'il ne peut pas y avoir pour els Français deux catégories de Français, ceux qui cotisent 40 années et ceux qui cotisent 37 années et demie. La négociation s'ouvre, elle va s'ouvrir au niveau confédéral, Xavier BERTRAND avec la coordination naturellement du Premier ministre, François FILLON, engage les discussions, a déjà commencé, et je souhaite que très rapidement ça parte entreprise par entreprise pour tenir compte de la spécificité des statuts et de la pénibilité des métiers.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Et pour la grève···
ARLETTE CHABOT - Fin de la négociation à la fin de l'année···
LE PRESIDENT - Bien sûr à la fin de l'année, mais écoutez, Arlette CHABOT, ça fait 20 ans qu'on parle de tout ça, ça fait 20 ans que tous les gouvernements regardent ce problème et le laissent de côté tranquillement. Les Français m'ont élu pour trouver des solutions, je trouverai des solutions. J'ajoute que parce qu'on aura fait cela, on pourra dès 2008 poser la question difficile de l'amélioration des petites retraites, il y a quand même trois millions de retraités qui sont en dessous du minimum vieillesse, ce n'est pas admissible, et la question encore plus difficile des pensions de réversion, c'est-à-dire des veufs qui se retrouvent avec 52% d'une petite retraite, ça ne fait pas grand-chose. Donc j'essaye de conduire une politique juste et je pense que ce que j'ai proposé aux organisations syndicales c'est juste.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ils trouvent que le calendrier sera difficile à tenir, pour eux ça leur paraissait même impossible···
LE PRESIDENT - Impossible, s'il s'agit de mettre quelques semaines de plus, bien sûr qu'on les mettra, mais il y a quelque chose qu'il faut bien qu'on comprenne, je ne transigerai pas sur l'affaire des 37 années et demie de cotisations qui doit passer à 40. Nous négocierons tant qu'il le faut, sur le temps pour y arriver, sur les statuts particuliers, sur la pénibilité, je n'accepterai pas qu'on désigne une catégorie de fonctionnaires comme étant coupable, ils sont coupables de rien ! Le cheminot de la SNCF, quand il a été embauché, il n'avait pas un gros salaire et puis il a trouvé ce statut, il ne s'agit pas d'accuser personne, il s'agit de trouver les moyens de financer un régime qui a besoin qu'on travaille plus longtemps pour pouvoir être financé. Comme on vit plus longtemps, si on ne cotise pas plus longtemps ce n'est pas possible de le financer.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Pour la grève qui est d'ores et déjà annoncée dans un mois tout juste, est-ce que vous allez mettre en place ce fameux service minimum que vous aviez annoncé pendant la campagne ?
LE PRESIDENT - Mais bien sûr, il y a une loi, elle doit s'appliquer. La grève, écoutez, s'il y a des problèmes on les affrontera mais moi j'ai été élu, et vous savez, j'ai dit une chose, c'est que pendant toute la campagne je n'ai pas menti, j'ai dit que la question des régimes spéciaux de retraites se posait, personne ne peut dire qu'il est pris en traître, personne ne peut dire que c'est un engagement que je n'ai pas tenu, je suis en train de tenir un engagement que j'ai pris. Ce n'était pas facile, j'ai dit avant l'élection à tous les titulaires de régimes spéciaux, " écoutez, si je suis élu président de la République, vous cotiserez 40 années comme tous les autres Français, pas plus mais pas moins ". Je l'ai dit avant l'élection, qui pourrait comprendre qu'après l'élection je ne le fasse plus.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais plus généralement, pour les autres fonctionnaires, vous leur avez dit hier " vous êtes formidables mais votre statut est obsolète ", est-ce que vous pensez que ce pays est rouillé et qu'il est victime de trop d'immobilisme ?
LE PRESIDENT - Ecoutez, là aussi, oui je pense profondément que les fonctionnaires sont formidables et qu'on n'en parle pas bien des fonctionnaires, je n'aime pas la façon dont on parle des fonctionnaires dans notre pays, on oppose les uns aux autres, ce n'est pas ma conception de la Nation. Et là encore je voudrais qu'on arrête de parler des statuts, des catégories et qu'on parle des femmes et des hommes. Je voudrais prendre des exemples : il n'y a pas de mobilité dans la Fonction publique. Quand votre mari ou votre épouse a un nouveau poste, vous ne pouvez pas passer de la Fonction territoriale à la Fonction d'Etat, vous ne pouvez pas changer de métier, il n'y a pas de formation continue, il y a la maladie des concours et des examens pour progresser. Alors prenez la mère de famille de 42 ans qui a deux enfants et qui travaille toute la journée, pour progresser elle doit passer des concours et des examens extrêmement difficiles, moi je dis le mérite, la valorisation de l'expérience, ça compte, on va leur donner un coup de main, on va améliorer la qualité du travail···
ARLETTE CHABOT - Le salaire au mérite par exemple, un prof m'a dit comment on évalue le mérite d'un prof ?
LE PRESIDENT - Ecoutez···
ARLETTE CHABOT - Non, je pose une question···
LE PRESIDENT - Tous les Français savent bien que dans les écoles il y a la maîtresse ou le professeur que tout le monde réclame parce qu'il est celui dont on sait parfaitement qu'il donne encore plus aux enfants. Moi je ne dis pas qu'il faut enlever à qui que ce soit qui fait juste son travail mais il n'est pas anormal que l'on reconnaisse la performance dans le secteur public comme dans les autres. Je voudrais qu'on arrête, un enseignant qui veut emmener sa classe au théâtre, faire une sortie, montrer la nature à ses élèves, c'est une débauche d'énergie considérable pour prendre une initiative, donc moi je veux qu'il soit valorisé. Je souhaite que dans chaque établissement on donne un minimum d'autonomie, que les enseignants ne soient plus notés sur leurs capacités à appliquer la dernière circulaire du dernier ministre mais sur leurs capacités···
ARLETTE CHABOT - Moins de circulaires peut-être···
LE PRESIDENT - Ah oui, ça certainement moins de circulaires, sur leurs capacités à apprendre à lire, écrire, compter à nos enfants. Je veux poser la question de la qualité du travail des fonctionnaires···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Il y a aussi le travail dans les quartiers difficiles par exemple aussi···
LE PRESIDENT - ···y compris de leur rémunération. Regardez les heures supplémentaires, il y a quelque chose que j'ai apprise, extraordinaire : savez-vous que dans la Fonction publique les heures supplémentaires sont moins bien payées que les heures normales et qu'il y ait des secteurs où on n'a même pas le droit de faire des heures supplémentaires.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Ca décourage···
LE PRESIDENT - Prenez l'exemple d'une mairie mérite, après tout ce n'est pas absurde que les services publics soient ouverts le samedi quand les gens sont disponibles pour aller dans les services publics. Je souhaite qu'un fonctionnaire qui fasse des heures supplémentaires soit payé sur ces heures supplémentaires. Regardez à l'hôpital, c'est inadmissible ce qui s'est passé. Des dizaines de milliers d'heures supplémentaires qui ne sont pas payées aux infirmières, aux agents hospitaliers, il faut régler ce problème. Alors comment on va le régler ? Soit en permettant de transformer du temps libre que les gens ne peuvent pas pendre en pouvoir d'achat, soit en permettant de transformer ce temps libre en années de cotisation retraite, mais je veux que tous ceux qui ont travaillé plus aient une rémunération de ce travail supplémentaire.
ARLETTE CHABOT - Une petite question sur le pécule, parce que vous avez proposé un petit pécule pour des fonctionnaires qui auraient envie de partir, changer, peut-être d'aller dans le privé, certains ont vécu ça assez mal···
LE PRESIDENT - Ah bon, pourquoi, je ne sais pas, quelqu'un qui est fonctionnaire depuis 20 ans puis qui souhaite avoir une autre activité, pourquoi on ne lui permettrait pas de l'avoir une seconde vie, un second choix. Au nom de quoi on doit tout figer, tout bloquer, tout statufier ? Mais notre société en meure de tout cela, il faut augmenter la possibilité de choisir. J'ai dit également aux fonctionnaires de France, je m'étais engagé, c'est un engagement que j'ai pris, on ne peut pas continuer à embaucher parce que la France vit au-dessus de ses moyens. On a 1.200 milliards de dettes, les salaires et les retraites c'est 45% du budget de la France, si on remplace tout le monde qui part à la retraite on ne pourra pas réduire les déficits. Et nous avons proposé avec le Premier ministre que la moitié des économies réalisées en gains de productivité on leur redonnerait en pouvoir d'achat aux fonctionnaires. Moins de fonctionnaires, mieux payés, c'est ça une Fonction publique moderne. Si nous ne remplaçons pas pendant cinq ans un fonctionnaire sur deux qui part à la retraite, on reviendra au niveau de la Fonction publique de 1992. Monsieur MITTERRAND était président de la République, je ne sache pas à ma connaissance qu'en 1992 la France était sous-administrée.
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Alors puisqu'on parle des 35 heures que vous ne prisez guère, pourquoi vous ne les supprimez pas carrément puisque il y a toujours des toilettages, des énièmes versions ?
LE PRESIDENT - Sur les 35 heures, écoutez, d'abord nous sommes le seul pays au monde à nous être doté de cette législation, il n'y en a pas un autre, et on l'a payé de deux problèmes, plus de chômeurs que les autres, parce qu'un pays qui travaille moins que les autres c'est un pays qui crée moins de richesse et qui a moins de croissance. Et toute ma stratégie économique c'est de libérer les forces de travail dans notre pays pour gagner ce point de croissance qui nous manque. Et puis on l'a payé d'un deuxième problème qui est immense en France c'est qu'on ne parle plus des salaires, on ne parle plus du pouvoir d'achat···
PATRICK POIVRE D'ARVOR - Mais on parle du temps libre en revanche···
LE PRESIDENT - Et moi je m'inscris en faux contre ceux qui disent, soi-disant experts, qu'il n'y a pas de problème de pouvoir d'achat en France, il y a un gigantesque problème de pouvoir d'achat. Comment le résoudre ? En permettant aux gens de travailler plus pour gagner plus. Alors qu'est-ce qu'on va faire ? D'abord à partir du 1er octobre, toutes les heures supplémentaires que feront les salariés français ils ne paieront pas d'impôt et ne paieront pas de charge dessus. Donc on encourage les entreprises à donner des heures supplémentaires et on encourage les salariés à faire des heures supplémentaires. Imaginez ce qu'on dirait de moi si je proposais aux Français de gagner plus sans travailler plus, ils diraient " il le fabrique cet argent, comment il fait ? " Deuxième élément, je veux faciliter la possibilité pour les salariés de choisir entre du temps libre ou du pouvoir d'achat. Il y a des tas de salariés qui ont des problèmes de pouvoir d'achat et qui veulent pouvoir transformer les jours de congé accumulés parce qu'ils ont fait des heures supplémentaires en pouvoir d'achat, en salaire, en rémunération, on va les autoriser. Et enfin je voudrais que les heures choisies ce soit la liberté du salarié : savez-vous qu'un salarié français n'a pas le droit de faire des heures supplémentaires dans son entreprise s'il n'y a pas eu un accord pour la branche. C'est hallucinant, il faut laisser un accord d'entreprise, il faut laisser les gens discuter, les syndicats discuter, entreprise par entreprise, mais pourquoi empêcher, c'est quand même une idée très curieuse que celle qui consiste à vouloir empêcher absolument les gens de travailler plus pour gagner davantage.